Les jeux mobile sont encore considérés par la majorité comme des jeux moins rigoureux, moins sérieux ou moins compétitifs que les jeux standard. Pourtant, au cours des dernières années, la scène e-sport mobile en Afrique a montré qu’elle a de quoi attirer les masses… et à juste titre !
- L’état des lieux de l’e-sport en Afrique
- Le joueur africain, grand absent des compétitions internationales
- e-sport mobile : en Afrique, on peut faire avec les moyens de bord
- Dans un monde presque idéal
- Pas de qualifications, pas de serveurs, pas de représentation
- Un marché encore négligé
- Les obstacles à l’e-sport mobile africain
Lorsque la question de l’e-sport est évoquée en Afrique, c’est toujours au l’aune des contraintes et des obstacles qu’on y rencontre. Au-delà des environnements peu propices pour les investissements étrangers, il y a les casse-têtes logistiques et l’absence d’accompagnement financier qui se pose. Après tout, organiser un circuit de compétition n’est pas une mince affaire. D’autant plus que les joueurs équipés du matériel de dernière génération peuvent se compter sur les doigts dans certains pays. Pourtant, l’engouement des joueurs y est aussi fort que dans n’importe quel pays. Bien qu’il n’y ait pas, à cette date, d’académies ou de débouchés professionnels évident, les joueurs continuent d’être pleinement investis. Et certains adoptent déjà les codes et les pratiques qui mènent la pratique des jeux-vidéo, au-delà du cadre du divertissement.
Il y a toutefois un secteur en particulier dans lequel l’absence d’infrastructures n’est pas si criard. Un secteur dans lequel les jeux-vidéo sont aussi accessibles en Afrique que partout ailleurs sur la planète. Dans ce secteur, les obstacles sont moins impressionnants, les barrières bien moins élevées et les opportunités gigantesques. Que faut-il penser de la scène e-sport mobile en Afrique ? S’agit-il d’une autre industrie à l’avenir incertain, ou du poulain le plus prometteur d’un écosystème en devenir ?
L’état des lieux de l’e-sport en Afrique
Organiser de grands événement e-sport en Afrique, c’est tout à fait possible. L’exemple de Paradise Game en Côte d’Ivoire le prouve parfaitement. Mais, cet exemple prouve également que c’est un véritable parcours du combattant et qu’il faut pouvoir compter sur l’appui de partenaires engagés et d’un gouvernement favorable à de tels projets. Les événements d’une telle ampleur sur le continent, ils sont peu nombreux. Et même notre calendrier des grands rendez-vous le démontre.
Pour tous les opérateurs et communautés qui envisagent de se lancer dans de telles initiatives sans l’accompagnement qui va avec, c’est bien moins simple. Certains y parviennent avec plus ou moins de succès. D’autres se voient faucher par des partenaires qui raccrochent à la dernière minute, sans explications concrètes et en toute impunité. C’est un fait avéré : ceux qui tiennent le pouvoir économique ne croient pas encore au potentiel de l’e-sport sur le continent africain. Après tout ce sont des investisseurs, ils se manifesteront lorsque la rentabilité sera au rendez-vous. Mais pour la plupart, ils n’osent pas accompagner les démarches visant à construire l’industrie de zéro.
Cet état de fait donne naissance à de grandes frustrations dans les rangs des joueurs professionnels et semi-professionnels. Voir des compétiteurs du monde entier participer aux grands rendez-vous et ne pas avoir de moyens concrets de faire entendre sa voix est déjà un affront colossal. On comprend sans peine le sentiment de solidarité qui anime la communauté des gameurs lorsqu’un joueur parvient à participer à l’EVO ou à des tournois du Capcom Pro Tour.
Le joueur africain, grand absent des compétitions internationales
Pire, les joueurs ne peuvent même pas se rabattre sur les compétitions organisées en ligne. Même ceux qui parviennent à instaurer de nouveaux records mondiaux sur FIFA et ceux qui se qualifient dans les règles, ne sont pas garantis de voir leurs noms apparaître dans les phases finales. Il faut encore réclamer à coups de tweets et de publications Facebook pour se faire entendre.
La situation n’est toutefois pas sans issue. Comme indiqué plus haut, des entreprises comme Paradise Game participent en organisant des compétitions, en accroissant la visibilité des joueurs et des développeurs africains. Et même en tentant d’établir des réseaux et des partenariats sur l’ensemble du continent. C’est le cas également d’autres initiatives comme la African Esport Championship ou les initiatives d’opérateurs économiques comme Orange avec son Orange Esport Experience. Certains gouvernements africains semblent même envisager une reconnaissance de l’e-sport comme industrie porteuse.
Pour le joueur lambda par contre, ces progrès ne sont pas suffisamment percutants. Et dans les faits, ils ne changeront rien à la situation des joueurs dans l’immédiat. Il y a pourtant un secteur de l’e-sport qui n’est pas affligé par les mêmes handicaps et qui donne l’opportunité aux joueurs du continent de briller. Il s’agit de l’e-sport mobile en Afrique.
e-sport mobile : en Afrique, on peut faire avec les moyens de bord
Ne nous voilons pas la face. Pour de nombreux joueurs, les jeux mobile ne sont pas des jeux-vidéo à part entière. Trop souvent, on estime qu’une médaille remportée sur un jeu comme Candy Crush ou Clash Royale a forcément moins de poids qu’une médaille pour TEKKEN ou Call of Duty. Et pour être parfaitement francs, cette perception des choses ne surprend pas. Et c’est l’un des premiers obstacles au développement de l’e-sport mobile en Afrique.
Cela dit, on aurait tort de penser que cette idée reçue est avérée. C’est facile de se dire qu’un joueur mobile n’a pas besoin d’avoir les mêmes réflexes, la même dextérité ou les mêmes facultés d’exécution et de coordination de mouvement que des joueurs sur PC ou console. Mais dans les faits, ces jeux requièrent des compétences tout aussi pointues, si tant est qu’elles sont différentes.
Clash Royale, Brawl Stars, Candy Crush, Arena of Valor, Vainglory, Summoner’s War ou encore les versions mobiles de jeux comme PUBG ou FortNite peuvent être joués à des niveaux professionnels. Penser le contraire, c’est se mettre le smartphone dans l’œil (et jusqu’au coude !). Et ces jeux sont bien plus populaires qu’on pourrait le penser.
Et la particularité de tels jeux, c’est qu’il suffit généralement d’avoir un smartphone et une connexion acceptable pour participer. Sur un continent où le taux de pénétration mobile est en croissance fulgurante, c’est une avenue encourageante. Pour rappel, on estimait déjà en 2019 qu’il y avait environ 960 millions de mobiles en service. En 2020, ce chiffre devrait passer à 660 millions rien que pour les smartphones (cabinet Deloitte). Sans oublier que le taux de pénétration mobile en Afrique francophone dépasse déjà les 100%. Et les données relatives à la pénétration d’internet sont tout aussi encourageantes (560M de personnes connectées selon www.internetworldstats.com).
Dans un monde presque idéal
Si les opportunités sont présentes et que nous avons la capacité de les saisir, pourquoi ne pas le faire ? Déjà, sur des jeux comme Clash Royale, le continent est représenté sur la scène internationale. Tantôt par l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie, tantôt par l’Afrique du Sud, la Côte d’Ivoire ou le Kenya. Comme de nombreux jeux mobiles, Clash Royale donne la possibilité aux promoteurs locaux de mettre en place leurs propres ligues sans dépendre d’un quelconque soutien officiel.
On ose espérer que pour des jeux comme Arena of Valor, Mobile Legends ou Brawl Stars le taux de représentation du continent continuera de grandir. Dans un tel contexte, les joueurs africains auraient enfin la chance inouïe de se frotter à la crème des compétiteurs du monde entier. Mais, encore faut-il qu’une place leur soit faite à la table.
Car, il faut le rappeler, les joueurs n’ont aucune garantie d’être reconnus même s’ils se qualifient en bonne et due forme. Il y a encore trop de tournois « internationaux » qui limitent la participation effective de compétiteurs africains. La région EMEA (Europe, Moyen-Orien et Afrique) semble simplement être un synonyme de « région Europe » par défaut. Même le Call of Duty Mobile Championship qui débute le 30 mai 2020 ne fait mention dans ses règles que des régions éligibles. Sans plus de précision. Mais avec 1.000.000$ à la clé, on ose espérer.
Pas de qualifications, pas de serveurs, pas de représentation
Il faut tout de même prendre le temps de saluer les efforts que certains éditeurs font, même s’ils ne rentrent pas directement dans le cadre de l’e-sport mobile en Afrique. Du côté de FIFA, il y a de plus en plus de représentation du continent dans les ligues et compétitions. Nous n’avons pas encore droit à des qualifications régionales en bonne et due forme.
Et pour certains lecteurs, ça tombe sous le sens. Pourquoi prévoir la participation d’une région qui ne génère pas de revenus importants ? Il n’y a pas à douter qu’en décortiquant les bilans des microtransactions de jeux mobiles, le continent africain (et sub-saharien en particulier) est à la traîne.
Sur ce point, il faut résister à la tentation de se dire que de ce taux de dépense faible s’explique par la pauvreté ou le manque d’intérêt. Les joueurs béninois, ivoiriens, togolais, burkinabé, camérounais ou guinéens manifestent autant d’intérêt pour des packs bonus et divers autres éléments que proposent les jeux mobiles. La plupart du temps, le seul obstacle est le plus insurmontable : l’impossibilité de procéder à la transaction.
Un marché encore négligé
Il suffit de mener une recherche sur les termes « gaming mobile en Afrique » pour se rendre compte que le sujet n’est pas nouveau. Les analystes économiques se rendent bien compte que le gaming mobile sur le continent africain est une véritable vache à lait. Les projections se font en milliards de dollars à long-terme. Mais nous n’en sommes qu’à 642 millions de dollars US pour 2021 selon PwC.
Si ces données ne sont encore que des projections nebuleuses, c’est parce que l’infrastructure n’est pas en place. L’industrie du mobile banking en Afrique s’élève à 15 milliards de dollars US pour 300 millions d’utilisateurs. Malheureusement, c’est une industrie qui opère en circuit fermé. Déjà qu’il est impossible (ou presque) de transférer des fonds d’un réseau à l’autre, comment peut-on espérer qu’ils soient ouverts sur internet ? Acheter un produit ou un service sur les plateformes en ligne depuis son compte Mobile Money (MTN), Moov Money ou Orange Money n’est pas possible sur l’ensemble du continent. La seule alternative qui reste, c’est de se rabattre sur des cartes prépayées. Et là, le souci du manque de sérieux de certaines institutions bancaires et la limite des prestations fournies se fait cruellement sentir.
C’était d’ailleurs l’un des points abordés pendant le FEJA 3 à Abidjan en 2019, pendant la conférence sur le thème « Quel écosystème pour favoriser la création de jeux-vidéo africains ». Si les joueurs peuvent réaliser des microtransactions et que les développeurs peuvent être rémunérés, c’est un nouveau marché qui se crée. Par la même occasion, les éditeurs internationaux pourront profiter des infrastructures mises en place pour accéder à ce nouveau marché. C’est juste que pour l’instant, rien de tout ceci n’est fait.
Il faut tout de même faire une mention honorable au service de jeu en accès libre d’Orange. Ce service avec un catalogue proposé en partenariat avec Gameloft a démontré que la croissance peut être explosive dans le secteur. Pour en savoir plus sur ce modèle économique l’article Jeune Afrique en dit plus.
Et tant que les éditeurs ne percevront pas le continent comme une source de revenus, il y a fort à craindre que les joueurs africains continueront de porter leur croix et leur bannière pour se frayer un chemin dans les qualifications des compétitions internationales à chaque fois.
Idéalement, on devrait pouvoir compter sur les développeurs locaux pour créer des contenus compétitifs et supporter la scène e-sport mobile en Afrique. Mais ces développeurs sont eux-même confrontés aux mêmes obstacles et handicaps que les joueurs qu’ils souhaitent servir.
Les obstacles à l’e-sport mobile africain
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le coût des smartphones n’est pas un obstacle. Quiconque a déjà mis les pieds à Cotonou, Lomé ou Abidjan sait que les prix proposés par les fabricants n’y tiennent lieu que de suggestions. Non, quand il s’agit des obstacles à une scène e-sport mobile en Afrique forte, le ver est dans le fruit.
« La connexion internet est foireuse. »
Sans plus de contexte, cette phrase peut être entendue à Lomé, à Abidjan, à Cotonou, à Accra, à Lagos ou à Niamey. Et pourtant, pour cette connexion, les usagers payent le prix fort. Mais à en croire les autorités et les opérateurs GSM, c’est une fantaisie qu’entretiennent les consommateurs. Le divorce vis-à-vis de la réalité est tel que des organes censés encadrer la tarifications s’insurgent lorsqu’un rapport place leur pays en dernier de la classe (ou presque). Pourtant, dans ce domaine, le Bénin sert de triste leçon (c’est surtout l’exemple que je connais le mieux).
En plus de payer des forfaits internet à prix d’or, il n’est même pas possible de bénéficier sur le réseau national, d’un ping inférieur à 120 ms. C’est une réalité qui frappe tous les joueurs sur internet ; qu’ils soient sur mobile, sur PC, sur console ou sur tout autre support.
Deux abonnés du même fournisseur d’accès internet, situés dans la même ville, dans le même quartier et dans la même maison n’auront pas une meilleure connexion entre eux, que des abonnés situés aux extrêmes du pays. Pourtant, le pays n’est pas si grand. Mais tout ça, ce sont des considérations techniques sur lesquelles nous ne nous pencherons pas tout de suite. Nous n’évoquerons pas non plus la logique qui sous-tend la taxation de l’usage « ludique » d’internet.
Toujours est-il que la situation est éloquente. Dans un domaine où les écarts à rattraper ne sont pas abyssaux ; dans un secteur où les joueurs africains ont enfin une chance de montrer leurs talents ; ils risquent encore une fois de rester à quai.
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Ce texte n’a clairement pas couvert tous les angles de la question. Et il est fortement influencé par les expériences personnelles et les opinions de son rédacteur. N’hésitez pas à nous faire part de votre propre expérience, de vos avis complémentaires ou de vos opinions contraires sur l’e-sport mobile en Afrique dans les commentaires. Merci.